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Accueil du site - Activités - Compte-rendus - Quels risques pour une sociologie de la religion ?

Nous estimerions que nos recherches ne méritent pas une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif” Durkheim, La Division du Travail Social, Introduction (1895).

I. Olivier Bobineau

Olivier Bobineau est sociologue, maître de conférence à à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques (FASSE) de l’Institut Catholique de Paris et à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il est aussi le directeur de l’Institut du Sens Politique. Le parcours d’OB se situe à la croisée de l’académique et du politique, il a une formation de théologien, philosophe, économiste et sociologue. Mais il est aussi militant et conseiller du Prince, comme le montre sa participation à la formation des Imams au sein de l’Institut Catholique de Paris. Ses deux objets d’études ont été la paroisse et le satanisme.

A) La paroisse catholique a été étudiée dans le cadre de sa thèse lors d’une comparaison franco-allemande entre une paroisse de Mayenne et une paroisse de Bavière. L’enjeu était de comprendre en quoi la réforme de l’organisation paroissiale était le signe de mutations à l’intérieur du catholicisme. La paroisse catholique n’est plus un territoire soumis à une hiérarchie dont l’autorité, venant de Dieu, s’impose par toute une série d’intermédiaires jusqu’au fidèle d’une paroisse définie « par dessus » le fidèle. À l’inverse la communauté paroissiale qui ne dépend pas totalement de l’ancrage géographique, définit l’esprit de la paroisse, son mode de fonctionnement, ses pratiques, ses réseaux, c’est-à-dire sa gouvernance se fait de manière horizontale. Le regard croisé, France/Allemagne permet aussi un décentrement incessant qui fait ressortir les différentes modalités d’une vie paroissiale et de paroissien dans une Eglise en pleine mutation. L’ouvrage comporte une très intéressante partie plus théorique sur les dons dans la communauté (voir ci-dessous à propos de Willaime et Tarot). Cette étude sociologique des dons est même dépassée par une étude de l’agapè et de la grâce qui selon Olivier Bobineau serait nécessaire pour rendre intelligible les différentes formes de dons observés. Prenant résolument le parti de suivre ce que les acteurs disent d’eux-mêmes, Olivier Bobineau manifeste les différentes modalités du croire des paroissiens catholiques.

B) Le satanisme est étudié à la fois pour lui-même, comme phénomène typiquement contemporain, notamment dans une démocratie de la défiance, et aussi pour manifester deux points importants :
1) le faible danger qu’il représente malgré l’imaginaire et l’instrumentalisation politique qui peut en être fait,
2) l’intérêt pour le sociologue qui vise à cerner la spécificité du religieux. Sur ce point 2), Olivier Bobineau montre que le religieux n’est pas la religion, que le satanisme n’est pas une religion mais bien un fait religieux parce qu’il lui manque une pratique communautaire.

La suite de l’exposé portait sur la définition de la religion.

I. Le problème de l’étymologie et de l’évolution de « religion ». Olivier Bobineau a rappelé le débat sur l’origine du terme « religion », entre la source Cicéron et la source Lactance. Pour plus de détails, il faut se reporter à l’article de Benvéniste qui conclut que « religion » signifie plutôt une posture faite de scrupules, d’absence de négligence (E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, tome II.). Sur la base de l’ouvrage de Daniel Dubuisson, L’Occident et la religion. Mythes, science et idéologie (Éditions Complexe, 1998), on peut reconnaître plusieurs phases dans l’évolution du sens de religion :

• Naissance du mot dans l’empire romain, dans la religion d’Etat, le culte des ancêtres, la pratique des scrupules. • Le Christianisme qui annonçant le salut pour tous les êtres humains, perturbe l’économie générale de la religion romaine. • Au IV°S, la religion chrétienne devient religion de l’Empire. • Avec Augustin, la religion est le Christianisme et s’oppose nettement au culte de l’Empereur. Le débat sur vraie/fausses religions prend de l’ampleur. • Le Protestantisme introduit à nouveau une redéfinition : à l’intérieur même de la religion vraie, il y a du divers, est-ce une religion ? Faut-il parler de religion chrétienne catholique et de religion chrétienne protestante ? • Les Lumières introduise la démarche « scientifique » dans l’étude des religions, la théologie perd son monopole. • Le XIX°S est marqué par l’ouverture sur d’autres religions comme l’Islam. • Maintenant « religion » est un mot valise. Il a besoin d’une redéfinition si l’on ne veut pas l’abandonner comme le propose Dubuisson qui y voit une catégorie christiano-romaine ne pouvant pas être reprise par les sciences des religions.

II. Les différents types de définition.

Les définitions fonctionnelles. Religion = socialisation régulation, intégration. Ces trois relations sont intéressantes car elles permettent de penser l’articulation de l’individu et de la société ainsi que l’évolution du groupe. L’individu s’intègre dans la société qui permet la régulation des comportements individuels et entre générations, il y a les processus de socialisation.
Mais le problème est que ces définitions fonctionnelles sont valables pour d’autres pratiques qui ne sont pas religieuses et donc elles ne permettent pas de concevoir les religions dans leur spécificité.

Les définitions substantielles. Il faut faire référence au métasocial, au supranaturel, au divin, à l’invisible, au sacré. L’objection est alors que cet essentialisme manque l’hindouisme ou le bouddhisme, peut-être qu’il en va de même en Chine. L’extension de ces définitions substantielles pose donc problème car les définitions substantielles sont élaborées sur la base d’exemples qui empêchent une véritable universalité. Les deux figures tutélaires françaises de la sociologie des religions ont proposé de sortir de ces impasses. Danièle Hervieu-Léger propose la définition suivante : religion = inscription dans une lignée de croyances, de filiation. Elle met donc en avant la mémoire et la croyance et souligne que l’individu contemporain ne reçoit pas simplement cette inscription mais la construit et la choisit, ce qui mène à une crise institutionnelle où la mobilité religieuse est omniprésente. Jean-Paul Willaime reprend la suggestion de Camille Tarot (Voir Le Symbolique et le Sacré) et définit le religion à la croisée de trois types de dons : le don longitudinal entre générations, le don vertical du divin vers l’humain et le don horizontal entre les membres d’une religion.
Bien que très suggestive, cette proposition ne satisfait pas complètement Olivier Bobineau qui y voit deux problèmes : 1) le politique obéit aussi à ses trois types de don, j’avoue ne pas comprendre comment il peut y avoir un don vertical en politique, et 2) le don ne suffit pas à comprendre le religieux ce que l’étude ethnométhodologique, du satanisme permet de mettre au jour.

III. La synthèse d’Olivier Bobineau.

Olivier Bobineau considère qu’il faut s’appuyer sur 4 références pour réussir à proposer une définition des religions.

1) Piette . (Le fait religieux, Economica, 2003) propose une approche originale des religions qu’il étudie à partir de quatre couples conceptuels : croire/douter, visible/invisible, récit/fiction, ordinaire/extraordinaire. Ces couples sont indépassables, on ne peut espérer une dialectique qui culminerait dans une synthèse (pace Hegel), il ne reste qu’une hybridation où la négation n’est pas créatrice d’Aufhebung. Pour Olivier Bobineau, le « bon » couple à retenir est ordinaire/extraordinaire qui permet de rejoindre l’étude de Weber sur la routinisation et la quotidianisation dans le religieux. Le religieux serait donc dialogique, entre ordinaire et extraordinaire, sans synthèse et donc toujours instable, potentiellement violent et destructeur. Le satanisme comme l’Eucharistie pourraient être analysés sur cette base.

2) Lévi-Strauss . L’importance du symbolique et du travail sur les couples de contraires comme le cru et le cuit.

3) Girard . L’insistance sur le désir, la violence, le passage à la limite toujours possible dans une religion.

4) Ricœur

. Dans Herméneutique Biblique (Seuil), Ricœur définit le religieux selon quatre critères : 1) une expérience limite, notamment quand le langage est porté à sa limite, contre l’intuition, 2) un processus d’orientation,désorientation, réorientation, 3) l’excès qui intensifie le projet religieux car il faut s’insérer dans une demande impossible, 4) l’irruption de l’inouïe, de l’extraordinaire dans l’ordinaire.

Discussion

La discussion a porté sur les points suivants (j’ai regroupé les questions et les réponses sans énumérer le détail des interventions).

Anthony F. : 1) Le problème de la définition des religions n’indique-t-il pas qu’une science des religions qui n’arrive pas à cerner correctement son objet est une fausse science ?
2) L’ethnométhodologie qui vise à comprendre se fait toujours à partir d’une interprétation donnée ce qui jette un doute sur l’objectivité de celui qui étudie les religions ?

Réponses d’OB. : 1) Pour définir une science, il faut soit définir l’objet, soit la méthode. OB défend l’idée que l’étude des religions ne pose pas de problème spécifique car il est habituel d’avoir des débats sur la nature et les méthodes. Le travail par exemple est aussi difficile à définir que les religions.
2) OB récuse aussi cette objection. En France, ce furent souvent d’anciens pasteurs ou curés qui ont pratiqué la sociologie des religions et donc ils se sentaient obligés de donner des gages d’objectivité et d’esprit critique. Le problème est le même pour l’étude sociologique des dites « sectes ». On peut minorer ce problème d’objectivité car la sociologie des religions n’a pas nécessairement à être une hypercritique des religions. L’approche ethnométhodologique refuse une posture purement critique à la Bourdieu. Il suffit d’avoir une certaine empathie pour le sentiment et les pratiques du croyant pour étudier le croyant. Ce principe ne vaut pas que pour les religions mais aussi pour n’importe quel objet d’étude des sciences sociales. De plus, comme Giddens (La constitution des sociétés, PUF) et Boltanski (L’Amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Métaillé, 1990) l’ont différemment montré, il ne faut pas négliger la présence d’une capacité réflexive chez tous les acteurs et donc l’attitude de surplomb du sociologue critique n’est pas justifiée (débat Boltanski vs Bourdieu). Ainsi, si les catégories d’ordinaire et d’extraordinaire semblent très variables, l’approche inspirée par l’ethnométhodologique ou la sociologie de la critique (et non la sociologie critique) doit permettre de les définir en tenant compte des croyances des acteurs et de leur propre réflexivité.

Mathieu a proposé une approche différente du problème de la définition des religions. Puisqu’il est si difficile de définir l’essence d’une religion, il serait possible de partir des croyants, des personnes religieuses qui sont les unités ontologiques de base et non pas les religions. Bien qu’intéressé par le personnalisme, OB récuse une telle approche trop substantive, il refuse l’approche thomiste des états de la personne. Le personnalisme défend une conception plus dynamique de la personne. On peut se demander si OB et Mathieu sont si éloignés l’un de l’autre, notamment parce que l’ontologie de Mathieu (il y a avant tout des personnes religieuses et pas des religions) est consonante avec les engagements ontologiques des théories sociologiques de Piette, Giddens, Boltanski.

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