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Accueil du site - Activités - Compte-rendus - Le croyant est-il épistémologiquement vicieux ?

Résumés des interventions de Roger Pouivet et Yann Schmitt sur l’épistémologie des croyances religieuses.

Roger Pouivet : le croyant est-il épistémologiquement vicieux ?

I. Le travail sur l’éthique des croyances commence par un examen du principe de Clifford : il est mauvais toujours, partout, et pour n’importe qui de croire quelque chose sans preuve suffisante.

Peut-on avoir des croyances tout en restant honnête ? Il faut distinguer deux types de croyances : le théisme qui est la croyance qu’un esprit omnipotent, omniscient et parfaitement bon existe et les croyances propres à une religion comme croire que Jésus est le Christ, que Marie est restée vierge ou que le Christ est ressuscité. Peut-on défendre le bien fondé de ces croyances ?

II. Si l’on applique le principe de Clifford : y a-t-il des évidences suffisantes ? N’a-t-on pas des croyances comparables aux croyances au Père Noël, aux extraterrestres etc. Clifford nous invite à l’évidentialisme. Pour toute personne S et toute proposition p au moment t, il est permis à S de croire p au moment t ssi croire que p repose sur une évidence dont S dispose à t. Cela relève d’une épistémologie déontologique : le droit de croire implique de respecter des règles épistémiques comme le principe de Clifford. Peut-on appliquer cela aux croyances religieuses ? Locke : ne pas soutenir une proposition avec plus de conviction que la justification des preuves sur lesquelles elle est bâtie. Hume : le sage proportionne ses croyances aux évidences. Sans évidence : scepticisme ou agnosticisme. Il faudrait refuser les prétentions d’un croyant qui n’a pas d’évidence suffisante. Est-il coupable épistémologiquement et éthiquement puisque sa croyance aura des conséquences sur ses actions comme élever ses enfants dans la foi ?

III. Réponse au problème dans la tradition philosophique chrétienne. Isaïe : si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. L’inverse de l’évidentialiste. Tradition non évidentialiste. Augustin, Anselme, Thomas : la foi en quête d’intelligence. Croire pour comprendre : est-ce une irrationalité et une crédulité ?

IV. Opposition sur le statut épistémologique des croyances.

Tradition évidentialiste : il faut un contrôle sinon nous sommes coupables quand nous conservons notre croyance. Cette tradition a besoin de deux autres thèses : (I) l’internalisme comme chez Descartes et (VD) le volontarisme doxastique : on peut décider de sa croyance. Le problème de ces 2 thèses : (I) sans contester l’introspection, on peut contester que l’introspection soit un examen interne de contenus mentaux. Cf. le second Wittgenstein, critique du langage privé et Bouveresse, Le Mythe de l’Intériorité. (VD) On ne peut pas décider de croire. On peut avoir un volontarisme indirect pas un volontarisme direct et immédiat permettant de croire à volonté n’importe quelle proposition.

L’autre tradition : Aristote, Augustin, thomistes. Tradition fiabiliste : une croyance est garantie ssi il y a un processus fiable. Il faut satisfaire 4 conditions (selon Plantinga Warrant and Proper Function) pour une croyance garantie : 1) nos facultés sensibles et cognitives fonctionnent correctement, 2) S doit se trouver dans un contexte approprié au développement de croyances vraies, 3) S doit rechercher la vérité, pas seulement une motivation pragmatique, motivation aléthique 4) S est fait pour parvenir à la vérité et avoir des croyances garanties (condition finaliste, on introduit de la métaphysique dans l’épistémologie). Pour toute croyance, si les 4 conditions sont remplies alors la croyance est garantie. C’est une garantie prima facie, tant que l’on n’a pas de bonnes raisons de croire le contraire.

V. Un exemple. Peut-on croire que le Christ est ressuscité ? Sur quel processus ? Il s’agit d’une croyance garantie dans l’enfance par un témoignage, fondée sur des textes et une confiance dans des personnes dignes de confiance. Le processus d’acquisition de la croyance ne met pas péril les 4 conditions. La croyance religieuse en la Résurrection serait donc légitime, garantie. Idem pour un grand nombre de croyances y compris des croyances scientifiques.

Problème : les témoignages à propos des miracles sont toujours faux. Or la résurrection est un miracle. Réponse de R. Pouivet : pas de raison décisive qui fasse que les miracles soient totalement absurdes. Y a t il des defeaters, des objections dirimantes ?

VI. Deux éthiques des croyances religieuses ? 1) Justification et 2) garantie-fiabilisme. La justification est une demande excessive. La déontologie : on part de la méfiance et de l’attitude individualiste contre le témoignage. Le fiabilisme : la confiance à l’égard de soi, des autres, des croyances, principe de crédulité : s’il semble à S que X est présent, il est probable que X soit présent. Il faut une confiance en soi-même qui est lié à la sorte d’être que nous sommes comme le montre la condition 4. L’épistémologie s’accompagne d’une métaphysique car la garantie suppose la réalisation de notre nature humaine rationnelle quand on remplit les 4 conditions et qui garantit nos croyances. Différentes conceptions de l’être humain dans les deux épistémologies de la croyance : dans la garantie, on a une conception de l’être humain comme fait pour la vérité, comme naturellement apte à la connaissance. On n’a pas cela dans l’épistémologie du contrôle.

VII. Pourquoi juger excessive l’épistémologie évidentialiste et déontologique ? Pourquoi ne pas juger que le fiabilisme est insuffisamment exigeant ? Que les arguments ne soient pas totalement concluants n’est pas un problème des croyances religieuses car une conclusion parfaitement concluante ne vaut que pour les problèmes formels. L’évidentialiste aurait un problème dans sa volonté de justification des croyances car il demande trop à trop de croyances. Mais le fiabiliste n’a pas ce problème. Rejet de l’évidentialiste mène finalement à une épistémologie des vertus selon RP. On travaille alors sur les personnes, les croyants. On passe des croyances aux personnes. Est-ce une sortie de l’épistémologie ? Non, pas besoin de sortir du scepticisme en examinant les croyances unes à unes selon les bonnes normes à satisfaire pour faire de l’épistémologie. L’épistémologie consiste plutôt à traiter du caractère du croyant honnête intellectuellement. Une sorte de psychologie philosophique que doivent avoir les gens pour avoir des croyances garanties. L’attention, l’honnêteté, la prudence intellectuelle, cf Aristote, Thomas. Opposition à des vices intellectuels : la dispersion, l’absence de curiosité, l’inattention, la malhonnêteté, le manque de considération pour la vérité. Pour l’épistémologie de la vertu, dans les processus causaux dont résultent les croyances vraies, le caractère de la personne est important. Le vertueux est faillible, même si le vertueux réussit souvent. On ne prend pas chaque acte et chaque croyance, on évalue la vie intellectuelle globale de la personne. Regarder si une personne témoigne de vertus intellectuelles dans toute sa vie. D’où l’importance des modèles épistémiques, voir la biographie de philosophes, d’hommes de science, profs, personnes modèles etc.

Conclusion. Le problème n’est pas de savoir si la croyance religieuse est légitime, mais la question est : la vie épistémique du croyant est-elle par principe intellectuellement vicieuse ou vertueuse ? On pourrait montrer que tout croyant n’est pas vicieux et donc qu’il n’est pas obligatoire d’être non croyant. Pour cela, il faut développer l’analyse des témoignages religieux sans être réductionniste.

Questions. A. Feneuil. Quel lien entre anthropologie et épistémologie ? L’anthropologie qui sous tend le fiabilisme n’est pas chrétienne car pas de péché originel. Contre cela, Augustin, Calvin : la corruption de la volonté et de la raison. Réponse de RP : on ne parvient pas à la vérité sans effort. On souffre peut-être d’une pathologie de notre sensus divinitatis (Plantinga). Le seul espoir : développer des croyances fiables non pas uniquement par un effort de soi mais avec une aide extérieure.

G. Waterlot. Il faut distinguer 2 ordres des croyances : croyances pragmatiques et croyances au-delà du bon sens et de l’adaptation qui peuvent passer pour une folie. Réponse RP. Les croyances religieuses ne sont pas du même ordre que les croyances de base contrairement à ce que semble dire Plantinga, cf son article "épistémologie réformée et épistémologie thomiste". On peut perdre ses croyances religieuses sans effondrement épistémologique, sans devenir fou et donc on garde les croyances de base (issues de la perception, de la mémoire). Les croyances religieuses incluent une exigence ou une forme de folie mais même dans la Bible, on peut montrer qu’il y a une vie « normale » chez le croyant. G.W. Il y a une exagération dans le commandement chrétien par exemple. RP. On n’a pas à vérifier les croyances ni les facultés, on devrait me convaincre qu’elles ne fonctionnent pas pour juger de la folie. G. W. Et si on me convainc de cela. On ne peut pas vivre selon l’ordre des Évangiles sans radicalité comme François d’Assise etc. RP. Le mode du vie du Chrétien n’est pas si hors norme.

Objectant. 1)Le volontarisme est vrai quand il ne porte pas sur soi ms sur des croyances à propos d’autres choses. On a un pouvoir sur ces croyances non égocentriques. 2) Dissolution de l’idée de vérité quand on passe des croyances aux personnes. 3)Des personnes avec des croyances différentes en science peuvent avoir des vertus intellectuelles. 4) Peut-on garantir la réincarnation en artichaut ? RP.1) confusion entre le changement de croyance et décider de croire. On peut changer sans décider. Croire en décidant est absurde, car ma croyance devra être une croyance où l’on maintient que l’on ne décide pas de la croyance sinon la croyance ne fonctionne pas. Cf. B. Williams, décider de croire in Problems of the Self. Cf. Pascal : il faut un effort volontaire pour croire mais pas une décision, c’est l’attitude qui produit par répétition la croyance. 2)Non, la vérité ne vient pas de notre effort. Parvenir à la vérité est un processus indépendant de notre contrôle, il faut remplir les 4 conditions. Les philosophes croient souvent que l’on ne peut pas arriver à la vérité par hasard alors que dans la garantie, on parvient à la vérité par une certaine chance : avoir été bien éduqué, etc. 3) pas de problème, on ne trie pas les théories sur la base des biographies. 4) Cette croyance n’est pas du même ordre que celle en la résurrection. Les arguments contre la réincarnation en artichaut sont forts par rapport à la résurrection, la théologie a travaillé la croyance religieuse et lui donne une solidité.

A Coubray : N’y a-t-il pas un cercle entre : Dieu – la condition 4 - la garantie de la croyance en Dieu. La théorie de l’évolution ne soutient pas la garantie, on n’est pas fait pour la vérité car on a des croyances pour des raisons pratiques. RP. 1) An Evolutionary Argument Against Naturalism de Plantinga. En gros : pour défendre les théories de l’évolution, il faut croire que nous avons des capacités suffisamment fiables pour connaître la vérité de ces théories or d’après ces théories de l’évolution, nous n’avons pas d’avantage adaptatif évident à posséder de telles capacités, donc problème de cohérence du naturalisme évolutionniste. 2)Quine pense que l’évolution rend compte de notre succès : cf. l’article « espèce naturelle », on ne peut pas toujours se tromper selon l’épistémologie naturalisée. Mais, on peut avoir les 2 : Dieu et l’évolution.

Précision de RP : la foi est volontaire elle est un assentiment, la croyance ne l’est pas. On a une croyance et pas la foi, les démons croient que Dieu existe mais ils n’ont pas la foi. Pas de volonté de s’unir. On a souvent le cas de croyances sans que cela déclenche une foi. La foi survient sur la croyance, elle est volontaire quand la croyance ne l’est pas.


Y. Schmitt : l’expérience mystique peut-elle appartenir à un processus cognitif ?

En résumé, j’ai essayé de présenter l’argument suivant : 1) les expériences mystiques sont des expériences perceptives. 2) Les expériences perceptives appartiennent à des processus cognitifs sauf considérations spéciales. 3) Les expériences mystiques appartiennent à des processus cognitifs sauf considérations spéciales.

Les différents problèmes posés par l’argument sont : le parallèle entre expériences mystiques et expériences perceptives, les objections réductionnistes telles les explications naturalistes neurologiques, l’absence de caractère public et contrôlable des expériences mystiques et le pluralisme des expériences mystiques qui rend peu probable l’existence d’un objet commun expérimenté. Ces objections tendraient à nier la portée cognitive des expériences mystiques. Mais il est possible d’y répondre. Voir l’entrée de la Stanford.

G. Watherlot m’a demandé de clarifier ma réponse à l’objection suivante : certains mystiques disent n’avoir l’expérience de rien et donc pas d’expérience perceptive. La prémisse 1 ne tient pas.

Mais peut-il exister une expérience de rien ? La question m’a embarrassée pour la raison suivante. Il me semble que l’on doit faire une réponse disons corrective, c’est-à-dire qui ne tient pas exactement compte de ce que dit le ou la mystique. Le risque est que le ou la philosophe impose des normes extérieures et non pertinentes, selon une attitude de surplomb et d’ignorance parfois développée en philosophie. Je crois que malgré ce risque, il faut refuser l’idée d’une expérience de rien.

Si on substantive le rien, il y aurait une expérience du rien. De quoi ? De quelque chose que l’on désigne par "le rien". Soit c’est rien soit c’est quelque chose. Il ne s’agit sûrement pas d’une non expérience c’est-à-dire d’une absence d’expérience. Peut-on s’attendre à une expérience vide de contenu, où le sujet n’a pas d’expérience de quelque chose tout en ayant une expérience, une expérience non perceptive. Il est remarquable que les mystiques ne se présentent pas tous comme ayant une expérience sans objet expérimenté mais examinons la possibilité d’une expérience du vide de conscience Soit il s’agit d’une étape pour nier l’égoïsme attaché au monde sensible et aux illusions de ce monde. Cela ne préjuge en rien de la possibilité plus haute d’une expérience perceptive mystique. Soit il s’agit seulement d’une expérience qui n’apprend rien d’autre qu’une possibilité de l’expérience humaine : avoir une expérience sans contenu déterminé. Pas ce que prétendent faire les mystiques. Soit cette expérience nous apprend que ultimement il n’y a rien, ce serait une forme de mystique nihiliste propre à la perte de sens cosmologique et théologique. Je laisse cette dernière possibilité. Pour ce qui relève de la mystique religieuse, on peut penser que la mention du rien est une exagération linguistique qui ne doit pas guider l’analyse philosophique ou l’analyse théologique. Il y a bien expérience de quelque chose mais cette expérience ne se laisse pas décrire comme une expérience de F ou de G. Donc il s’agit d’une expérience de quelque chose que l’on préfère désigner par "le rien" mais ici le néant est relatif à cause de la rupture entre ce dont on fait habituellement l’expérience et l’expérience de rien d’habituel. Ainsi l’expérience d’une réalité si différente et non sensible s’exprime sous la forme négative. Ceci pourrait offrir une certaine lecture du nirvana compatible avec le théisme.

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