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Après une introduction par Hugo Poulet, Johann Chapoutot a présenté sa conférence sur "Le nazisme : une eschatologie ?"

Introduction de Hugo Poulet :

L’approche historienne de la religion a, depuis longtemps, été bouleversée par l’apport fécond d’autres disciplines. La sociologie, l’ethnologie, l’anthropologie ont ouvert des pistes que les historiens ont peu à peu empruntées. Le décentrement opéré a ainsi contribué en France à décatholiciser le sacré et l’approche traditionnelle de la religion. La fin de l’hégémonie du modèle chrétien sur l’analyse du phénomène religieux s’est alors accompagnée de la nécessité de repenser ce qu’était une religion.

Pourtant, si la religion a toujours été un champ de recherche intensément pratiqué par les historiens, la religion comme concept demeure souvent un impensé, comme si l’empirisme historien condamnait d’avance la question de la définition. Au vu de phénomènes récents (réapparition du terme de « spiritualité » pour désigner des pratiques qu’on ne qualifie plus de religieuses, désignation par le terme de religion de phénomènes sociaux : « le sport comme religion »), cette question de la définition demeure pourtant au cœur des problématiques des sciences humaines et sociales.

S’il serait absurde de désirer une définition figée, surplombante et sclérosante, les tentatives de la sociologie religieuse pour repenser ces questions (comme celle de Camille Tarot, Le symbolique et le sacré. Théories de la religion, La Découverte, 2008) pourraient intéresser les historiens.

Dans cette optique, la question de « la religion nazie ? » incarne particulièrement bien la difficulté qu’a l’historien à se mouvoir entre une définition strictement fonctionnelle, attachée au rôle que joue la religion au sein d’une société, et une définition substantive dans laquelle les critères de contenu sont premiers. L’exemple de cette « religion séculière nazie » constitue alors un terrain d’enquête particulièrement fécond, emblématique de l’opposition entre le réductionnisme qui tire le concept de religion vers l’idéologie et une approche qui, a contrario, annexe tout système de sens et de valeur sous la bannière de religion.


Conférence de Johann Chapoutot :

L’objet de la conférence fut d’interroger ce qui est devenu un lieu commun : l’association du nazisme (et du communisme d’ailleurs) à une religion.

Pour ce qui est du nazisme, on peut s’en tenir à une définition de la religion à partir de l’étymologie (douteuse) de religare, relier. Relier les vivants, relier les vivants et les morts. Pour le nazisme, c’est intéressant si on dit : ce qui relie les vivants par l’intermédiaire des morts. Car on peut, alors, interpréter le nazisme comme une manière pour l’Allemagne de vivre le deuil des morts de la Première Guerre mondiale, dans le cadre de cette société en voie de déchristianisation. Un slogan récurrent : celui des 2 000 000 de morts pour rien. Pour rien, même pas pour une vraie défaite, car celle-ci n’a pas été sensible pour les Allemands. Le territoire est resté intouché après 1918, il n’y a pas eu de défaite vécue comme ce sera le cas, par exemple, en 1944.

Fritz Stern montre qu’au XIXe siècle, en Allemagne, ne se produit pas seulement une sécularisation mais aussi un transfert de sacralité des églises vers l’État, vers la monarchie, l’État prussien. La personne de Bismark, de l’Empereur, sont sacralisées.

Dans les années 1920-30, nazisme et religion semblent faire bon ménage. Le parti puis le parti-Etat investissent des éléments caractéristiques du religieux chrétien. En particulier : substitution d’une scansion nazie à la scansion chrétienne. Hitler admire l’Église pour sa capacité à contrôler les masses et pour sa résistance comme institution politique.

Tous ces arguments ont leur pertinence et permettent d’affirmer que le nazisme est une religion. Mais une fois tout cela posé, on est devant quelque chose de tout à fait formel. On est dans le décorum (cérémonies nazies calquées sur les cérémonies religieuses, artifices rhétoriques empruntés au christianisme etc.)

Y a-t-il une religion nazie, au sens d’une foi nazie ?

Il faut faire attention. Quand on parle du nazisme, de quel locuteur parle-t-on ? Himmler n’est pas Hitler, le parti n’est pas la SS, etc.

Tout cela complique la question de savoir s’il y a une religion nazie.

Chez les SS, il y a bien la promotion d’une réelle religiosité. Une religion de la nature, religion du sang, etc. Une religion toutefois bien particulière : sans transcendance. La déité c’est le Volk ou le sang. Himmler, lui, est tout à fait mystique, en ce sens qu’il accepte une transcendance dissociée du Volk ou du sang. Il est également très superstitieux.

Les "Chrétiens-Allemands", eux, veulent associer le christianisme au nazisme, en "déjudaïsant" le christianisme.

Hitler, lui, prend en haine les Églises chrétiennes. Pendant la guerre, il les considère comme des idiots utiles, car anticommunistes et antilibéraux. Il prévoit néanmoins de les supprimer une fois la guerre gagnée.

La question de l’existence d’une foi nazie est donc très délicate. Parfois, Hitler invoque un Dieu, très difficile à définir. Il lui arrive aussi de conclure un discours par "Amen". Quand on lit les propos privés de Hitler sur ce qu’est la foi, on a l’impression d’être dans Machiavel. Ce que Hitler appelle la Providence, c’est la loi de la nature. Et pour Hitler, la foi du nouveau temps, c’est la science. Il est très dur contre l’obscurantisme chrétien, opposé à la clarté de la science, qui énonce notamment les lois de la lutte des races à partir de théories du sang. En outre, Hitler ne pense pas de vie après la mort, et il ne pense pas non plus d’après-guerre. La guerre perdu, l’Allemagne peut disparaître, la victoire du sang russe ayant démontré son infériorité.

Questions

Un débat s’est ouvert entre Johann Chapoutot et David Gallo sur la question de savoir si l’opposition entre nazisme et christianisme était aussi nette dans l’esprit des nazis qu’elle pouvait l’être dans certains discours. David Gallo a fait valoir certaines thèses historiques qui soulignent des proximités entre certains aspects du luthéranismes et certaines dimensions du nazisme, ainsi que l’appel fréquent à Dieu dans des textes nazis.

Hugo Poulet pose la question de savoir si le paganisme antique n’est pas un meilleur modèle de religion pour penser ce qu’est le nazisme comme religion plutôt que le christianisme.

Evidemment, la question de la définition de la religion ne cesse de se reposer, et en particulier celle de savoir s’il faut la définir à partir d’une expérience subjective (celle de la foi – mais comment comprendre ce qu’est la foi ? et le christianisme est-il le seul modèle possible ?) ou à partir des structures sociales qui la caractérisent. Johann Chapoutot semblait indiquer que, dans le cas du nazisme, il est difficile de parler de religion si l’on veut la définir à partir d’un critère d’expérience subjective du type de celui de la foi et ne pas s’en tenir à l’aspect formel des institutions sociales.

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